Ironman France : une compétition dantesque !

Dimanche 19 juin, voici assurément le jour le plus long, qui aura vu débarquer une horde de 1434 triathlètes surentraînés, suréquipés, sur-motivés, survoltés, pour satisfaire leur quête du tripe effort parfait sur le format le plus exigeant qui soit.

 

Et chaque triathlète qui piaffe en ce petit matin sait que le Graal, le T-shirt et la médaille de finisher s’obtiennent à la dure, en arrosant de sueur (et parfois de sang) chaque centimètre de la distance séparant la plage du centenaire à l’arrivée finale sur la promenade des anglais, en tout 225,996 Km.

 

Proverbe de triathlète : A Nice, le paradis est au bout de l’enfer.

5 triathlètes Versaillais ont répondu présent à l’appel aux armes.

Frédéric DELOZ

Monsieur "Iron France" 2005,

lors des départementaux Maîtres

Nicolas Petotot, en quête d’une deuxième qualification aux championnats du monde Ironman, à Hawaï ;

Louis-Xavier Lachenal, qui après sa brillante participation au longue distance de Nice l’année dernière, se mesure à se nouveau format ;

Julien Mathieu, l’homme de fer de cette édition ;

Michel Bosch, la ruse triathlètique faite homme, et organisateur de notre virée sur Nice (encore merci pour Michel) ;

Votre serviteur, qui va devoir prouver qu’il sait courir plus que les 10 kilomètres des Distances Olympiques.

Le parc ouvre à 5 heures du matin. Juste le temps de regonfler les pneus des montures, compléter les sacs de vélo, course à pied, se tartiner de vaseline, crème solaire, enfiler la combinaison, et hop, sur la plage.

La grève composée de ses fameux galets et toujours agressive pour nos tendres voûtes plantaires, mais, le temps d’une bénédiction, le speaker chauffe le public, les DJs font monter nos pulses avec la musique de Rocky, chacun se positionne sur son slot de départ, en fonction du temps natation que l’on pense faire.

Le décompte est donné :

Une minute…

Trente Seconde…

10 secondes…

La marée noire se tasse sur le rivage…

Le coup de canon retentit…

Swim : 3.8km.

Ca chauffe dur sur les 400 premiers mètres. Presque aussi fort que sur DO. A la bouée des 300m , un concurrent m’arrache les lunettes. Le temps de tout remettre en place, il faut que je ré-accélère à fond, car une vague de triathlètes déchaînés manque de m’engloutir.

J’apprécie tout de même ma nouvelle combinaison sans manche, qui me permet enfin de toucher l’eau.

Seul inconvénient, c’est que je n’ai pas mis assez de vaseline et ça frotte au niveau du cou et des aisselles. Tant pis. Je vais m’en tirer avec des brûlures.

Sur le retour, je me remets à dériver sur la gauche, et je rallonge pas mal la distance de course.

Je croise une belle méduse au passage de la dernière bouée, et me voilà en train de sortir de l’eau pour l’australienne. C’est une sortie digne du débarquement dans « Saving Private Ryan ». Chacun s’entraide pour sortir le plus vite de l’eau. Une féminine est littéralement transportée hors de l’eau par deux triathlètes.

Je sprinte, grille 4-5 triathlètes, et plouf, au bouillon.

Re-galère, je dérive à gauche, rallonge encore.

Au final, je sors en 1h05. Sprinte pour atteindre le parc.

La confusion est impressionnante, et retrouver son sac est une sacrée paire de manche.

Bike : 180km.

Je mets mon casque, prends la crème solaire, mes chaussures, et au vélo.

Celui de Louis-Xavier est encore au parc. Il me rejoindra plus tard sur le parcours.

Julien est une minute derrière moi. Michel à 25.

Nicolas, sorti depuis plus de 10 minutes, est en train de frotter avec les grosses cylindrées.

Par contre, les points de ravitaillement ne se sont pas encore organisés, et Nico ne va pas pouvoir se ravitailler pendant 60 km ! Ca ne va pas l’empêcher d’envoyer, et filer à 36 de moyenne. Lui qui nous annonçait un petit 33-34. Modeste, va !

Moi, je me laisse dépasser par des paquets de concurrents. Je préfère attendre de retrouver un peu de tension de chaîne avant d’envoyer.

Entre le pont de la Manda et Charles Albert, j’écope d’un carton noir, synonyme de trois minutes de prison. Je suis furieux, surtout que c’est l’arbitre qui m’a coincé derrière un concurrent, créant le drafting.

Manque de bol, après le deuxième ravitaillement, un concurrent pile devant moi pendant que je jongle avec mes bidons. Ma roue percute la sienne et je tombe comme une masse.

Je récupère des bidons, des gels, et c’est reparti avec le cuir éraflé, la tige de selle déréglée, et une contracture au mollet gauche.

Julien me récupère quelques kilomètres plus loin, fringuant. Moi, je ne suis pas au mieux, car je commence à avoir les intestins qui se rappellent à mon bon souvenir.

Avec Julien, nous essayons quelques échappées pour exploser le peloton qui se forme, mais rien à faire, je n’arrive pas aller au bout de l’effort, et quelques kilomètres plus loin, le groupe nous récupère. Puis c’est au tour de Louis Xavier de nous rejoindre. En essayant d’éviter un carton noir, il s’est rabattu sur un concurrent, a accroché sa patte de desserrage et tordu deux rayons. Heureusement, le stand Mavic a pu rafistoler la roue ! Il nous dépose et file ailleurs. Nous n’avons pas les moyens de le suivre. Au Broc, je laisse Julien suivre et je m’arrête pour une pause pipi, en espérant que ça va passer. Mais, décidément, ça s’arrange pas.

Alors il va falloir être patient, le voyage est encore long. Il reste 120 km à vélo.

Je repars après un stop de 5 minutes. Les groupes ont éclaté, ne laissant plus que des triathlètes s’égrenant sur la route comme un chapelet de perles.

Le Broc, Bouyon, Conségudes, Roquestron, Pierrefeu, Gilette défilent. Il fait de plus en plus chaud. A chaque ravitaillement, je m’asperge d’eau, récupère de la boisson énergétique, et grignote un peu de Powerbar.

Je reprends la N202 en sens inverse, entre le pont Charles Albert et le pont de la Manda. La température continue de monter et le vent souffle. Tous les triathlètes sont en ligne, draftant à la limite des 10 mètres. Mon ventre commence enfin à se faire oublier, et je peux lancer la cavalerie. Je peux tenir les 35-40 km/h et reprendre des places. Sur les dernières descentes, je prends la roue d’un pro de la descente. Nous sommes trois à descendre sans toucher une seule fois aux freins, avec des pointes à 65-70 km/h. Par contre, le vent devient violent, à la limite brûlant, et irrite mes poumons. Je dépose les deux descendeurs sur le faux plat montant menant à Saint Jeannet.

Je repasse par Cap 3000 et j’arrive à l’aéroport.

Et quelle n’est pas ma surprise de me rendre compte que la boucle du marathon se fait sur la totalité de la baie ! La tente de 200 mètres de long qui marque le point de retours ne fait, dans mon champ de vision, que 1 cm de long. Et j’ai quatre allers-retours, sous un soleil de plomb, sans vent pour rafraîchir (jamais là quand il faut, celui là) à faire avant de devenir Ironman.

Et la course à pied, c’est vraiment pas mon point fort.

Je sens que la journée va vraiment être très, très longue…Mais ce n’est qu’une journée.

Je rentre dans le parc, jette mon vélo à un volontaire.

 

Run : 42,5km.

Les volontaires n’arrivent pas à retrouver mon sac, et pour cause, je pars directement dans la penalty zone.

Au moins, je suis à l’ombre, je peux boire, et enlever mes chaussures et mon casque, me masser les pieds.

Et ils ne trouvent toujours pas mon sac. Après six minutes de prison au lieu de trois, je récupère mon sac. Et je peux entamer ma dernière transition sous la tente.

J’enduis mes pieds d’Akiléine pour éviter les ampoules, je change de paire de chaussettes et de lunettes, j’enfile mes fidèles Asics cumulus IV, histoire de leur offrir une mort glorieuse, la casquette, retourne le dossard, et je me fais enduire de crème solaire par une charmante volontaire.

Je peux enfin me lancer dans la fournaise.

J’ai les bronches très irritées, ce qui m’oblige a faire des inspirations très courtes. La chaleur est littéralement asphyxiante. Je croise rapidement Nico. Il déroule bien. Tant mieux.

Je tombe au bout de cinq minutes sur le premier ravitaillement. Je cale deux éponges sur mes épaules, au niveau des carotides. Ca rend tout de suite la chaleur supportable. Je coupe le coca avec de l’eau, un morceau de banane, et je me dirige vers le deuxième ravitaillement. J’ai l’impression que cette ligne droite n’en finit pas. Je croise Louis-Xavier. Nous nous encourageons mutuellement. Ca fait du bien.

Je passe le point de demi-tour. Ca ne fait que 5 kilomètres, mais ça paraît tellement long.

Je remonte la promenade des anglais, le long des palmiers. Je croise Julien, et puis finalement Michel, qui a l’air en pleine forme. Il y a également Fabrice, Christophe (Le président) et Christian (le trésorier), qui sont descendus sur Nice à vélo pour nous encourager.

Je récupère le bracelet blanc du premier tour. Plus que 30 km.

Je change mes éponges à chaque ravitaillement, je prends mon coca coupé et mon bout de banane. A la fin du deuxième tour, j’ai l’arrière des mollets qui devient douloureux. Il faut au moins que je termine mon troisième tour en courant, pour le quatrième tour, je pourrais toujours le terminer en marchant.

Les éponges sèchent de plus en plus vite. Le nombre de concurrent, assis sur le bord de la route, prostrés, augmente. Je croise Nico, les traits tirés, les yeux vitreux. Je ne l’ai jamais vu dans le dur.

Michel grimace également, Julien trottine, puisant au plus profond de lui les forces pour continuer d’avancer.

Louis-Xavier ne semble pas trop affecté.

Je remonte pour boucler mon troisième tour. Il fait chaud, j’ai mal aux jambes, je sens que la foulée n’est plus naturelle, et que chaque pas est une épreuve. Au dernier ravitaillement, Fabrice me re-motive.

Cette course me gonfle, la course à pied me fait c...r, et j’en ai marre de boire des trucs sucrés et chaud. Je repars en me disant que c’est trop bête de laisser tomber si près du but, mais je me demande vraiment pourquoi j’ai sacrifié tant de soirées, de week-ends à m’entraîner pour une épreuve où il faut vraiment pas être humain pour la finir.

Je sens que je suis au bout du rouleau.

On me tend enfin le bracelet vert. Je n’ai plus que 11 km à faire.

Une remarque de Laurent, datant des championnats régionaux d’été me revient à l’esprit : « Un effort sur un sprint de 50 m, c’est pas comparable à un Iron… ». J’ai le temps de méditer sur la remarque. Thèse, antithèse,…

 

J’essaie d’accélérer pour passer sous les douze heures, mais au deuxième ravitaillement, je commence à sentir que mon équilibre me fait défaut. Je me ravitaille, et je marche. Un orage de chaleur éclate, mais l’atmosphère devient oppressante. Je finis par repartir, mais les jambes me font encore plus mal. J’alterne la course à pied et la marche. J’avance, pas après pas, mètre après mètre, kilomètre après kilomètre, vers la ligne d’arrivée. Michel m’encourage. J’ai la sensation de ne plus être totalement lucide. Je saute le dernier ravitaillement, enfile le dernier bracelet, le violet. J’avise un concurrent qui est à 40 mètres de moi et à 50 mètres de l’arrivée. Je sprinte, et je le coiffe sur la ligne d’arrivée. On me passe la médaille de finisher autour du cou, on m’enveloppe de la couverture de survie, et on m’emmène dans la tente.

Il est 18h44.

J’ai mis 12h14’35’’ pour tout terminer.

Et je peux enfin manger salé, envisager une douche, et même, comble du luxe, une bière glacée…

Julien, qui a chuté en vélo à plus de 40 km/h, a continué, contre l’avis de l’arbitre, le cuir sérieusement entamé.

Michel le récupère en course à pied, et c’est ensemble qu’ils franchissent la ligne d’arrivée, et échangent quelques mots avec Mark Allen himself !

Nous pouvons enfin nous retrouver tous ensemble : Michel, Julien, héroïque jusqu’au bout, Louis Xavier, Moi, Christian, Fabrice et Christophe, les parents de Michel qui nous hébergent et nous ont soutenus tout au long de la semaine, et savourer le calme après cette rude bataille.

Et le mot de la fin, me direz-vous ?

Il est écrit sur le T-shirt de finisher : "Impossible is Nothing".

Frédéric

(à droite ci-dessous)

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